C’est l’heure de déjeuner. Toute la famille de Fatou Yalindiaye se retrouve autour d’un ragout à base de niébé. Il y a largement de quoi satisfaire les appétits, même pour les voisins qui se sont invités. L’agricultrice de 53 ans, qui a connu des récoltes insuffisantes, sait à quoi elle doit cette nouvelle abondance.
« Nous produisions entre une tonne et une tonne et demie [de l’ancienne variété de niébé], mais avec des saisons des pluies plus courtes et retardées, nous n’obtiendrions plus que 800 kilogrammes environ », explique Fatou. « Avec les anciennes variétés, nous ne mettions même plus d’engrais car les pluies ne duraient pas assez longtemps pour faire pousser quoi que ce soit. Nous n’avions pas de quoi nourrir le bétail. »
Au Sénégal, désigné comme centre de spécialisation pour les céréales sèches, le PPAAO a collaboré avec le Centre d’étude régional pour l’amélioration de l’adaptation à la sécheresse (CERAAS), une émanation de l’Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA), pour concevoir et distribuer 14 variétés de céréales sèches comme le sorgho, le millet, l’arachide et le niébé, à maturation précoce, à haut rendement et résistantes à la sécheresse.
Des coopératives locales participent à cet effort en incitant leurs membres à multiplier les semences pour pouvoir les diffuser à un maximum d’agriculteurs. En échange, ils peuvent revendre leurs semences certifiées à la coopérative à un prix supérieur à celui du marché. À ce jour, sept variétés de céréales sèches à l’épreuve du climat ont été distribuées à plus de 250 000 agriculteurs dans les 13 pays couverts, dont le Sénégal.
« La collaboration de la Banque mondiale avec le Sénégal dans le cadre du programme PPAAO aide 423 000 agriculteurs sénégalais à produire davantage de nourriture et à mieux affronter les chocs climatiques », explique Aifa Niane Ndoye, agroéconomiste senior au pôle Agriculture de la Banque mondiale. « Les interventions climato-intelligentes produisent déjà des résultats convaincants : malgré une saison des pluies en retard, puisqu’elle a débuté en août au lieu de juin, et des précipitations bloquées à 250 millimètres contre 500 habituellement, les rendements de sorgho et de millet en 2014 ont été bons. Dans le cas du sorgho, l’augmentation est supérieure à 100 %, avec un rendement de 1,7 tonne à l’hectare contre une moyenne nationale de 0,8 tonne. »
Alors que les variétés traditionnelles avaient besoin de pluies abondantes et d’au moins 120 jours pour mûrir, les variétés améliorées comme le Faourou (sorgho) et le Gawane (millet) ne réclament plus que 110 jours de croissance et peuvent continuer à se développer même s’il ne pleut pas pendant deux à trois semaines. Ces nouvelles variétés peuvent également permettre un rendement de 1,5 à 3 tonnes par hectare — une progression significative par rapport au rendement habituel des variétés locales non certifiées, entre 0,5 et 1 tonne.
Les nouvelles variétés ont permis un gain moyen de productivité d’environ 30 %, alors même que les précipitations ont été plus erratiques et moins abondantes. Les agriculteurs comme Fatou comptent sur elles pour nourrir leur famille quel que soit le temps, qu’il pleuve suffisamment ou pas. Après avoir planté du Melakh, une nouvelle variété de niébé, elle a constaté que contrairement aux autres années, « [elle avait] de quoi nourrir [sa] famille et [son] bétail. En plus, le goût est excellent. » Sans compter que ces variétés sont plus nutritives, avec une teneur supérieure en protéines et en calcium.
Les retombées positives des techniques et technologies climato-intelligentes
Ces nouvelles variétés ne sont qu’un aspect du programme. Grâce au soutien du PPAAO, des formateurs agronomes ou des « vulgarisateurs » apportent aux coopératives des outils et des formations pour s’adapter au changement climatique.
Dans la vallée fertile du fleuve Sénégal, des agriculteurs se sont mis à la riziculture intensive et convertis au compost. Ils appliquent des engrais organiques et non plus chimiques et ne plantent plus que 20 kilogrammes de semences par hectare, au lieu de 60 auparavant. Ils dépensent donc moins en semences et intrants, contribuent à atténuer le changement climatique en réduisant les émissions de GES et obtiennent des rendements bien meilleurs.
Le programme élabore aussi des approches pour aider les agriculteurs à affronter les chocs climatiques et à gérer leurs terres d’une manière plus durable. Deux techniques de lutte contre le striga, une plante parasite qui se multiplie avec le réchauffement et est particulièrement nocive pour le millet et le niébé, ont été mises au point et diffusées. Le PPAAO soutient également les initiatives en faveur de techniques durables de gestion des terres, comme l’agroforesterie.
En Afrique de l’Ouest, l’avenir de l’alimentation passe par des pratiques climato-intelligentes
Le Sénégal comme d’autres pays couverts par le programme illustrent la manière dont l’agriculture climato-intelligente peut être déployée, avec le soutien des scientifiques, des coopératives et des vulgarisateurs. Cette forme d’agriculture, indispensable pour bâtir un système alimentaire viable, joue aussi un rôle essentiel pour l’avenir des exploitants comme Fatou : « Nous devons pouvoir satisfaire nos besoins. Nous devons prendre soin de nos enfants et nous assurer qu’ils ont de quoi manger à leur faim… car les temps sont durs et l’avenir incertain. »